« MA PASSION, C'EST LE LAIT MAIS LE BLÉ DONNE DE L'OXYGÈNE. »
ANCIEN CONTRÔLEUR LAITIER, JULIEN PARIS A DÉCIDÉ DE CHAUSSER LES BOTTES POUR POURSUIVRE L'AVENTURE LAITIÈRE FAMILIALE DE LA FERME DE POLYCULTURE-ÉLEVAGE.
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JULIEN PARIS EST BIEN DANS SES BOTTES D'ÉLEVEUR. À la tête de 130 ha de cultures de vente pour 192 ha de SAU, il aurait pu arrêter l'atelier lait au départ à la retraite de son père Jean-Michel, en mars 2012, et devenir 100 % céréalier. La tonne de blé, vendue 193 € en 2011 et plus de 200 € en 2012, rendait cette conversion attrayante. Seulement lui, ce qui lui plaît, c'est le lait. Un choix clairement fait à son installation en 2008, au départ de son oncle du Gaec. La ferme familiale comptait à l'époque 400 000 l de quota, dont 100 000 l en société civile laitière avec un voisin. La rallonge JA l'a confortée de 80 000 l, auxquels se sont ajoutés en cinq ans 160 000 l en achats de quotas (TSST) et droits à attribution.
« 240 000 L'EN PLUS SANS REPRISE DE FONCIER »
« Je n'ai pas repris de foncier pour augmenter la référence laitière. Les 640 620 l sont valorisés sur la même SAU qu'il y a cinq ans. Avec 3,5 UTH sur l'exploitation – mon père, l'associé en SCEA sur l'activité laitière, un salarié et moi-même – nous étions dans les clous des attributions. L'Eure étant un département en perte de vitesse laitière, la réserve départementale était largement abondée en lait. » Au départ à la retraite du père, la SCEA laitière permet également de ne pas subir de prélèvements de quotas. Aujourd'hui, l'exploitation compte 1,5 associé dans le cadre de la SCEA et un salarié. De toute façon, envisager une conversion 100 % grandes cultures n'est possible qu'avec des équipements laitiers en fin d'amortissement. Or, la construction en 2005 d'une stabulation paillée de 54 m de long sur 20 m de large, avec une fumière pour 300 m3 et une fosse de 400 m3, a relancé les annuités bancaires de l'exploitation. La modernisation s'élève à 118 400 €, aides du PMPOA 2 déduites. Six ans plus tard, Julien confirme sa motivation laitière par la transformation de l'aire paillée en 95 logettes pour un investissement supplémentaire de 90 000 €. « L'exploitation en a autofinancé 60 000 € grâce au prix du blé élevé depuis 2010. De même, je prévois d'autofinancer un forage de 20 000 € au printemps. La complémentarité de nos ateliers céréales et lait joue à plein, en faveur de l'activité laitière actuellement », déclare Julien. « C'est une tendance nouvelle », observe Yves Malvoisin, de la chambre d'agriculture de l'Eure. Il anime depuis des années des groupes lait composés de polyculteurs-éleveurs. « Jusqu'à présent, l'élevage a plutôt financé un certain suréquipement en matériel de cultures, justifié par la volonté d'intervenir rapidement dans les champs et l'optimisation fiscale. La flambée du prix des céréales inverse la tendance. Si l'Eure compte une cinquantaine de robots de traite avec une explosion de leur nombre ces trois dernières années, c'est que leur financement est assuré par l'EBE supplémentaire dégagé. »
Pour Julien, outre l'autofinancement d'investissements, la bonne conjoncture céréalière se traduit par la constitution d'une trésorerie « que mes prédécesseurs avaient plus de mal à dégager » et d'une réserve en prévision des fluctuations des prix du marché. « Les 54 000 € d'aides découplées que m'apportent les cultures sont un soutien précieux pour le financement de mon installation », ajoute-t-il. Les annuités s'élèvent à 79 475 € en 2011- 2012 (JA compris) et montent à 91 700 € les deux exercices suivants. Il voit deux autres avantages à cette complémentarité lait-cultures : le fumier qui amortit la hausse du prix des engrais azotés et l'absence de routine dans le travail.
« Aller en plaine casse le traintrain des soins aux animaux. De même, après plusieurs journées de traitements phytosanitaires, j'apprécie mon retour sur l'élevage. » Cette complémentarité se transforme par moments en concurrence lorsque les travaux des deux activités se télescopent. Surtout que le jeune éleveur a un parcellaire très morcelé : trente-trois parcelles dont une bonne partie en lisière de forêt.
« GAGNER EN EFFICACITÉ SANS INVESTIR DANS DU MATÉRIEL »
Seul aux commandes de la ferme depuis le printemps 2012, avec son salarié Bernard Sébastien, il réorganise progressivement le travail, sans remettre en cause la politique d'investissements modérée de ses prédécesseurs. Cela se traduit par exemple par le recours à l'ETA pour les 120 ha à moissonner. « Notre secteur est plus frais que le Vexin voisin. Nous récoltons dix jours après. Même avec des fenêtres climatiques plus courtes, cela ne vaut pas la peine d'investir dans une moissonneuse-batteuse. » Il n'hésite pas non plus à faire appel à ses voisins céréaliers, mieux équipés, s'il estime qu'il ne fera pas face. « C'est ce qui s'est produit en septembre dernier au semis de colza. Il fallait que j'épande en même temps le lisier. J'étais débordé. » Le souci de limiter les achats de matériel se traduit par une répartition des 80 000 € d'amortissements en 2011-2012 à 35 % pour le matériel et 65 % pour les bâtiments.
Plus globalement, avec moins de main-d'oeuvre sur l'exploitation, il recherche la simplification : application des techniques culturales simplifiées sur les semis d'automne, culture du lin entièrement confiée à une ETA, implantation de 15 ha de luzerne pour trois ans. « Cela s'applique aussi au troupeau laitier. Je vais rapatrier la douzaine de génisses élevées sur l'autre site de l'exploitation à 7 km. Même si Bernard s'en occupe avant de rentrer à son domicile, c'est du temps gaspillé. » De même, la mise en fonctionnement des logettes à l'automne 2011 limite le paillage à deux par semaine contre un quotidien auparavant. Elle permet aussi de rentrer moins de paille après la moisson.
« APRÈS RÉFLEXION, JE N'AI PAS DONNÉ SUITE À MON PROJET DE ROBOT »
Cette simplification du travail ira-t-elle jusqu'à l'installation d'un robot de traite ? « Non », répond le jeune éleveur, même s'il avoue y avoir pensé… au point d'avoir visité des élevages aux Pays-Bas et prévu un emplacement dans la stabulation au moment de sa transformation en logettes.
« Depuis la suppression de l'aire paillée, je consacre le matin et mon salarié le soir 1 h 15 à 1 h 30 à la traite contre 2 heures auparavant (sans le lavage de la salle de traite). Ce n'est pas pesant. » Conçue pour 60 vaches, l'aire paillée était devenue insuffisante pour accueillir les 75 laitières nécessaires pour la réalisation des 640 623 l de quota. « Les vaches arrivent plus propres en salle de traite. Bernard et moi soignons moins de mammites et trions moins le lait pour obtenir un comptage cellulaire satisfaisant. » Effectivement, l'élevage a enregistré sept mammites du 22 septembre 2012 au 28 février 2013, avec zéro mammite en février. Leur nombre était de 15 sur la même période 2012-2013. « Le comptage cellulaire sur 2012 s'élève à 233 000 cellules/ ml (moyenne non pondérée des volumes) mais en triant peu le lait, contre 243 000 en 2011 après un tri. » L'organisation construite autour de la traite avec Bernard le satisfait. L'arrivée d'un robot introduirait une conduite plus informatisée du troupeau avec, sans doute, une nouvelle répartition des tâches entre Julien et Bernard pas si facile à définir. Sans oublier qu'avec 75 vaches aujourd'hui, voire 80 à certains moments, un seul robot ne suffirait pas, même en augmentant le niveau de production par vache. Sans frais de traite supplémentaire, la 2 x 6, elle, a absorbé un accroissement du quota de 240 000 l en cinq ans.
Julien projette-t-il encore de l'augmenter ? « Reprendre 50 000 l, c'est envisageable. Avec 92 logettes, mon bâtiment offre des marges d'évolution, répond-il, mais je ne veux pas dépasser les 700 000 l. Le travail supplémentaire que cela générerait et le prix élevé des aliments n'encouragent pas à se développer plus. » En revanche, malgré la flambée de leur prix, pas question pour lui de ne pas réaliser son quota. La crainte que Sodiaal intègre la campagne 2012-2013 dans la définition de son volume de référence après 2015 l'a incité, en novembre dernier, à ajouter un concentré de production « 3 l » dans sa ration complète. La prévision de livraisons d'ici au 31 mars, réalisée par le contrôle laitier ce mois-là, lui annonce une sous-réalisation de 28 800 l s'il ne réagit pas. « J'espère que le lait en plus permis par la VL diluera cette dépense supplémentaire et qu'au final, je ne dépasserai pas le plafond de 100 €/1 000 l de coût alimentaire que je me fixe en ration hivernale. J'ai hâte de mesurer l'incidence de cette décision sur la marge nette de l'atelier lait », confi e-t-il. Car l'autre intérêt de produire toute sa référence est de diluer aux 1 000 l de lait les charges de structure qui, elles, ne varient pas quels que soient les volumes livrés.
« DE PLAIN-PIED DANS L'APRÈS-QUOTAS »
Le jeune éleveur compte sur les marges de manoeuvre que lui offre le potentiel de son troupeau pour s'adapter aux fluctuations du marché. Ce dernier l'a montré ces six dernières années par des niveaux de production oscillant entre 8 940 kg de lait brut par vache en 2008-2009 (39,3 de TB et 31,4 de TP) et 8 175 kg en 2011- 2012 (41,3 de TB et 32,8 de TP).
« Investir dans la génétique a certes un prix, mais cela coûte moins cher que d'élever des génisses en plus ou acheter des vaches lorsqu'il faut appuyer sur l'accélérateur. »
Cela ne fait pas l'ombre d'un doute : Julien Paris est de plain-pied dans l'après-quotas. Pour mettre toutes les chances de son côté, il veut avoir bien en main son activité laitière. La décision en 2010 d'inséminer lui-même ses femelles et détecter les métrites, l'achat en 2011 d'un échographe neuf (2 400 €) pour vérifier les gestations et, l'an passé, l'acquisition d'une cage de contention pour parer ses animaux (voir L'Éleveur laitier n° 206, p. 78) concourent à sa démarche. Sa participation à plusieurs groupes aussi : groupes technico- économiques lait et cultures de la chambre d'agriculture de l'Eure, groupe d'éleveurs de prim'holsteins pour parler génétique. Il estime ainsi progresser efficacement en comparant ses pratiques et ses résultats à ceux de ses collègues. « Cela évite d'avoir la tête dans le guidon. »
De même, il préfère aller de l'avant en s'appropriant les orientations de Sodiaal plutôt que de les suivre à contrecoeur. « Cela ne sert à rien de bouder son dispositif de prévision de collecte. Il est lancé. De même, Sodiaal propose de miser sur les prix A ou B. Pourquoi pas ? On le fait bien pour le blé. »
CLAIRE HUE
La ferme est répartie sur deux sites : le site laitier ci-dessus et le site des cultures à 7 km de là.
92 logettes à la place de l'aire paillée. Mises en service à l'automne 2011, elles ont nettement amélioré la qualité du lait. Leur paillage à 6 kg de paille par vache assure la tenue du fumier. À leur pose, un espace pour un éventuel robot a été conservé avec des couloirs de circulation adaptés.
Inséminer lui-même. Julien relève ce défi depuis 2010, complété par les examens échographiques en 2011 puis le parage l'an passé. Objectif : suivre de façon fine ses animaux et gagner en souplesse de travail et en réactivité
Sur sa ferme de polyculture élevage, Julien Paris estime consacrer un quart de son temps à la « plaine ». Il explore des pistes de simplification.
Éviter le suréquipement. Distribuer la ration complète avec un godet désileur fait partie de cette stratégie. Il est équipé d'un peson pour être en phase avec les quantités d'aliments fixées. Un travail qu'effectue chaque matin le salarié Bernard Sébastien, pendant que Julien trait.
Pas de chichi. La salle de traite 2 x 6 postes avec décrochage automatique date de 1998. Elle a absorbé une augmentation de 15 à 17 vaches en sept ans. Grâce à une meilleure qualité du lait, la traite dure 1 h 30 sans le lavage contre 2 heures avant. Le salarié assure celle du soir
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